21.1.11

27 minutes et 14 secondes

27 minutes et 14 secondes que mon regard fait l'aller-retour entre le tube de néon qui grésille et la mouche posée sur le cadre d'une imitation de croûte impressionniste qui orne fièrement le mur écru de la salle communale.

Donc en comptant bien,sachant que les réunions commencent toujours avec en moyenne 8 minutes de retard,que ma montre retarde de cinq minutes,qu'
un train A lancé à 136km/h rencontre un train B dans une gare X,et que surtout on nous ment,on nous spolie,même sur l'heure qu'il est,et que donc par conséquent ne vous prenez jamais au jeu de croire ce que vous dit l'horloge parlante,il doit être 18h45. Environ. Dans le méridien de Greenwich. Parce qu'au fin fond de la forêt amazonienne,il est l'heure de goûter pour les petits enfants. Là-bas,il fait chaud et humide,on se balade popol au vent à travers la jungle,avec de la terre qui s'immisce entre les orteils, des moustiques qui vous foncent droit dans le visage, des morceaux de fougère dans les cheveux et un sentiment de liberté grisant.

Là-bas ce qui est sûr,c'est qu'aucun tube néon ne leur prend la tête en essayant de s'allumer alors que
tout le monde sait qu'il n'en est plus capable, rapport à son âge. Avec en prime le petit "cling" à chaque entreprise ratée, sorte de "hé ho les potes,je suis là!je suis un battant moi,je vais y arriver!"

Seulement voilà, il se trouve que j'y suis pas, en plein milieu de la forêt amazonienne. Non môssieur. Moi,je suis dans la salle communale des Ambrilles, village du fin fond du rectum du monde.


Ce soir,réunion à propos des cloches de l'église,pour savoir si il fallait passer à un système électronique, ce qui nous éviterait pas mal de crises d'apoplexie des curés, ou si il fallait rester dans le manuel. Donc,débat endiablé entre pro-électronique, tournés vers l'avenir, jeunes, beaux, blonds, les cheveux au vent, chevauchant un pur-sang sur la plage, avec une musique bien ringarde en fond sonore et bien trop de rose dans l'image; et les conservateurs,mini-Churchill jurassiens fiers des cordes qui tirent les cloches comme un coq est fier de sa crête rouge et pleine d'excroissances.

En fait moi je suis venu parce que madame Dumaque fait une tarte au poireau à s'en bouffer le tortillon, et aussi parce qu'il y a de la Suze pour pas un rond. Ici c'est clair,le premier qui se balade popol au vent va faire un tour chez les fous fissa. L
es valeurs se perdent.
Monsieur Frantin est en plein allocution. Cet homme m'inspire. Suffit qu'il dise"mon village,je l'aime comme il est"pour que je me le figure en train de chanter "that's the way han han han han I like it"sur l'estrade,empoignant le micro dans son poing tout rouge, transpirant des litres et crachant un peu sur les personnes au premier rang. Des danseuses déguisées en brésiliennes arriveraient alors pour faire une chorégraphie du feu de dieu
et on finirait tous par jouer a la course de chaises, suants, les bajoues rebondissantes comme des superballes, le visage hilare, et on aimerait tous ça, et on déciderait d'arrêter le débat sur les cloches, de les décrocher de l'église, et puis enfin de vivre nu la totalité du temps.


Une marée de mains se levant pour la conservation du système manuel d'actionnage des cloches me sort de ma rêverie, et achève de tuer le dernier de mes espoirs de course de chaises et de village naturiste. L
es cavaliers blonds tous nus râlent un peu,monsieur Frantin serre la main du maire à qui,tout le monde le sait, il a envie de piquer la place depuis qu'il a réduit le budget 3éme âge, et moi, je pique un morceau de tarte aux poireaux à un mioche en lui jetant un regard du genre De Niro dans Taxi Driver "you talkin to me???". Sauf que j'ai pas un iroquoi sur la tête et un flingue dans la main, et que j'essaie pas de kidnapper ma copine prostituée.

Et tout ca sous les milliers d"yeux médusés de la mouche du tableau impressionniste,qui se dit que décidément elle a bien du mal à distinguer le comportement des homo sapiens sapiens de celui de sa cousine la mouche bleue, plus communément appelée
mouche à merde.
Je sors de la salle, le ventre plein de poireau et de pâte brisée,et me dirige vers la petite colline ou il y a l' église, celle qui fait tant débat. Je remonte d'abord la seule rue du village, passe par le jardin des Campi, où le chien essaie même plus de me mordre parce qu'il sait enfin qui est le chef,
et même les escargots,princes de la foret,frémissent de tout leurs corps de gastéropodes sur mon passage.

Je suis grand, je suis puissant, j'ai bouffé de la tarte aux poireaux pour pas un Kopec.

6 commentaires:

  1. loulou,
    rien qu'en te lisant, j'ai le sentiment du devoir accompli.
    j'ai trooooop d'la chance avec vous cinq.
    merci.

    lucky papa herby west

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  2. Oooh merci papa!

    Et c'est pas dla chance c'est du mérite :)

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  3. Ah la la ..... Votre famille, comment dire ?.... Votre famille me met les larmes aux yeux...

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  4. Bon, là faut me dire.

    C'est toi qui as écrit ça?

    Pour de vrai?

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  5. Oui, c'est un vieux texte, je devais avoir dans les 16 ans je l'ai ressorti de mes vieux tiroirs :)

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  6. 'tain si je ressortais les textes que j'écrivais à 16 ans....je crois que je me transforme instantanément en René la Taupe.

    Comme toi Geneviève, suis scotchée.

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