8.1.11

Drunken Sailors


(désolée pour la vidéo un peu dégueu, c'est pas moi jvous jure. Pas taper.)



Il avait plu toute la journée. Les enfants avaient sali leurs culottes courtes dans la boue, leurs mère inquiètes les avaient houspillés, puis elles avaient regardé l’horizon avec une ombre d’angoisse dans la pupille. Soulevant leurs énormes bras blancs, chair douce et molle, elles avaient caché leurs yeux du peu de soleil qui subsistait, et scruté l’horizon, à la recherche de la moindre trace d’écume, du moindre remous dans l’eau verte de l’Atlantique nord. Les jeunes filles aux chevelures de feu s’étaient cent fois regardées dans le miroir, en avaient usé la glace et un peu leurs yeux couleur d’eau de mer. Les vieillards, sur les bancs en bois humides, avaient attendu de sentir une nouvelle fois l’odeur de mer, ce mélange d’écume, de poisson et de whisky qui avait fait leur jeunesse.
L’iode avait déposé sur toute la ville une couche poisseuse et salée. Des gouttes d’eau de mer boueuse tombaient des poils des chiens, les mouettes avaient une robe grise et les algues recouvraient une partie de la plage.
Les enfants avaient déjà entendu cent fois les histoires de marins que leurs contaient leurs grands-parents. Ils pouvaient presque sentir la transpiration de ces hommes, mélange de rhum et de sel, d’air frais et de sperme, d’amour et d’eau sale. Les adolescentes les attendaient, les marins. Elles attendaient celui qui serait différent, qui descendrait du bateau en regardant au loin, des vers plein les yeux, et qui les trouverait, pour lui déclamer le plus beau des poèmes d’amour.
Mais voilà, on avait beau dire, on avait beau faire, cela ne se passait jamais comme cela. Au bout de plusieurs heures, les vieillards prenaient froid et ramenaient leurs chiens dans leurs cahutes, les grosses mères se terraient à nouveau dans leur cuisine pour préparer le potage du soir, les enfants se fatiguaient et finissaient par passer le temps en donnant des coups de pied aux chats errants, les cheveux des jeunes filles s’assombrissaient, elles se recouvraient d’un gros pull, et partaient aider leurs mères. Pourtant, avant leur départ, les mères avaient seriné aux fils les bienfaits d’une vie sobre, l’importance de la toilette, la vulgarité des jurons. Mais rien n’y faisait, cela finissait toujours de la même façon. Lassée d’attendre, la ville s’assoupissait.
Puis, tard dans la nuit, quand le peuple ronflait déjà depuis plusieurs heures, on entendait alors des cris d’ivrognes s’élever du port. Ça y était, ils étaient revenus. Chaque fois on oubliait l’enfer que c’était, de voir les marins revenir. Sur le port, des tessons de bouteilles maculaient les digues. Ça sentait la sueur, la pisse, la gerbe. Les filles de joie étaient ressorties de leurs bordels, arborant leurs plus beaux apparats. Un homme tentait de courir après une fille nue, puis deux ou trois chancellements plus tard, finissait à plat ventre sur le pavé, une bouteille de scotch à la main.
Mais alors, on ne pouvait oublier la petite lumière jaune, celle qui brillait sur le port. Celle de la taverne où ils se réunissaient. Oh, ça n’était pas plus poétique par là, ni plus beau, non. Seulement, de la taverne s’élevait une musique qui à elle seule enivrait chiens et vieillards, mères et filles, putes et marins. Le violon, la cornemuse et la flûte s’égosillaient, jouaient la musique de l’enfer, à un rythme infernal. Et ça sautait là-dedans, ça tournait, ça tombait par terre, se faisait relever, ça tapait des pieds, ça frappait des mains, et ça tournait encore, ça tournait plus vite, ça se rafraîchissait à grands coups de bourbon, et ça repartait pour un tour, puis un autre, et encore un autre, jusqu’à ce que le violon expire dans un dernier cri de victoire. Puis, grisés, ivres, hagards, ils rentraient tous chez eux, pour attendre encore le retour des marins.

4 commentaires:

  1. Même émotion en lisant ton texte qu'en écoutant "Le Port d'Amsterdam" du grand Jacques, même ambiance, même force dans les images et les mots sans que ce soit plagiaire pour autant. Merci pour la balade irlandaise. Bravo.

    http://www.deezer.com/fr/#music/result/all/nougaro%20irlandaise

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  2. j'hésite entre la jalousie et l'admiration. va pour l'admiration :)

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