2.12.10

Pierre Carles- Attention danger travail



Témoignages

"C’est pas simple d’être dans une chaîne; c’est pas simple d’arriver à cinq heures moins le quart, puis de… de te dire « tiens, vite, faut que je fume une cigarette ». Je mets mon tablier, je prends mes outils, puis une dernière cigarette avant la sonnette. Puis à cinq heures moins le quart, la sonnette. Et c’est triste, c’est triste. Tu penses plus au travail que tu fais. Tu y penses, mais machinalement, c’est tout par réflexe; tu sais qu’il faut mettre une agrafe à gauche, une agrafe à droite. Tu engueules ton agrafeuse quand elle va mal, tu t’engueules toi-même, t’arrives à t’engueuler toi-même quand tu te blesses. Alors que c’est pas de ta faute, c’est de la faute des montages qui sont mal faits, mais c’est comme ça.
Devant nous, ya rien. Rien. La promotion? Non, faut pas y compter. Ce qui est dur en fait, c’est d’avoir un métier dans les mains. Moi je vois, je suis ajusteur. Pendant trois ans j’ai été premier à l’école, pendant mon CET. Qu’Est-ce que j’en ai fait? Rien. Au bout de cinq ans, je peux plus me servir de mes mains, j’ai mal aux mains. J’ai un doigt, le gros, j’ai du mal à le bouger.
J’ai du mal à toucher Dominique le soir, ça me fait mal aux mains. La gamine, quand je la change, je peux pas lui dégrafer ses boutons. T’as envie de pleurer dans ces moments là. (…) J’ai du mal à écrire, j’ai de plus en plus de mal à m’exprimer. Ça aussi, c’est la chaîne. T’as tellement de choses à dire que t’arrives plus à les dire. Les mots, ils arrivent tous ensemble dans la bouche. Et puis, tu bégayes, tu t’énerves. Tout t’énerve, tout. "

Alain Rachebault

"Puis, en 82, j'ai été licencié. Et là, j'ai commencé à entrevoir une multitude de choses. C'est comme être au bord d'un précipice, quelqu'un vous pousse dans le dos, et une fois dans le vide, on s'aperçoit qu'on peut voler. On commence à planer, et on se dit "c'est drôle, la prochaine fois je me jette tout seul!" "

P., viré de l'usine et enfin tranquille

3 commentaires:

  1. Je croyais que c'était l'oeuvre d'un écrivain, ce texte là, mais non, c'est le témoignage d'un gars. Il devrait écrire ce gars-là (Alain Rabechault je crois). A pas vouloir faire dans le joli quand il dit ou quand il écrit, il fait dans le beau, le sublime. Je me comprends. Il y a une désespérance qui prend aux tripes.

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  2. Oui, c'est lui! Disons que ça te calme, un truc comme ça. Le documentaire est vachement bien foutu, et la première partie, sur Domino's pizza, est assez ahurissante. Il embauchent un médecin généraliste comme livreur et en sont fiers, font se couper les cheveux à un jeune homme à qui ça allait trèèèèèèèèèès bien (marrant, il a le même prénom que papa Lucky), et disent texto à une jeune fille qui conteste un peu les règles "la norme, c'est nous, tu t'y soumets ou sinon vaut mieux arrêter tout de suite."
    HUM. BROUM.

    Sinon, je crois que Carles est un des derniers reporters contestataires de nos jours. Tellement qu'il en a fini en taule en voulant protester contre le dîner du Siècle, pour "manifestation illégale". A préciser qu'ils étaient une trentaine, assis près d'un restaurant, quelque chose dans ce gout là.

    http://www.lepost.fr/article/2010/11/25/2317948_diner-du-siecle-plusieurs-interpellations-lors-d-une-manif.html

    Douce Franceuuuh, cher pays de mon enfanceuuuh

    Tsais que jsuis remontée comme une pendule en cmoment!

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  3. Perso, je suis en plein dans la même réflexion, la remise en question de tout ce qu'on nous a asséné comme vérités, en particulier la croissance à tout prix et surtout, surtout, l'épanouissement par le travail.

    Il y avait aussi le docu "j'ai très mal à mon travail". Et tout ce que j'ai vu et que je commence à voir dans ma pratique.

    Je suis tout à fait d'accord avec ce que dit le premier témoin. Et c'est sans doute pour ça que je ne serai probablement plus jamais salariée. Enfin tant que je pourrai me le permettre. Parce que c'est bien là le drame: même conscient de l'aliénation inévitable à laquelle conduit l'organisation du travail salarié, on n'a pas toujours les moyens de s'en affranchir. En cela, je me considère comme hyper privilégiée. Et pourvu que ça dure.

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