21.9.10






L’hiver 1954. Le long de l’interminable digue, la glace emprisonne les grains de sable, pour ne les libérer qu’un mois plus tard. L’espace d’un mois, le temps se fige. Les traces de pas sur les dalles de béton, les bâtons de sucette que l’on a, intentionnellement ou non, laissés tomber près des bancs. Les échoppes du bord de mer sont toutes fermées, et l’on croirait alors une longue succession de cabanes de jardin déposées là au hasard, et auxquelles on aurait oublié de poser des portes et des fenêtres. Les mouettes, folles, cherchent un abri parmi les marécages gelés. Les bateaux sont pris aux piège dans la glace salée de la mer du nord. Tous les jours, on se saigne, à tenter de faire bouger les coques vides. Sans succès. L’épaisse couche de glace enserre les barques sans leur donner un espoir de s’échapper.
On souffle entre ses mains rougies pour tenter de les réchauffer. Les jointures blanches semblent découper les doigts en plusieurs petits tronçons de viande morte.
La ville est glacée, immobile, recouverte d’un manteau de neige blanche qui endort pour un temps les rues et les trottoirs.
Elle vient tout juste d’avoir 14 ans, quelques mois avant que le temps n’arrête sa course folle. Peut-être est-ce pour cela, que plus de 50 ans après, la lumière qui éclairera ses yeux azur sera la même que celle de son adolescence.
Le vent glacial fige ses boucles blondes. Son bonnet de laine n’a de cesse de tomber sur le sol hivernal tant elle sautille, tant elle court, tant elle danse sur la glace, faisant glisser ses souliers de cuir en une valse enragée. Et elle claque des mains, et elle chante. Elle chante pour que les âmes endormies au balcon l’entendent, elle chante pour percer un trou dans le plafond grisâtre du ciel. Elle rit aux éclats, et son rire rebondit sur chaque façade du boulevard. Il s’accroche à l’épée d’un corsaire, il se colle sur les casquettes des dockers, les ménagères n’en peuvent plus leurs oreilles.
Elle court, elle court le plus vite que ses jambes lui permettent. Elle doit arriver à la digue avant que le soleil n’ait fait fondre cette pause temporelle.
Plus tard, elle portera un béret, et on l’écoutera, elle qui fait tant de bruit. Même les regards dédaigneux s’arrêteront quelques instants sur sa chevelure blonde. Elle leur criera la vérité, et ils déposeront à ses pieds des provisions jusqu’à en faire craquer les pavés, qu’elle lancera à grand renfort de bras à ceux qui n’en ont pas. Elle couvrira la marmaille de sucreries jusqu’à ce qu’ils en aient mal au bide.

6 commentaires:

  1. merde alors. ça vient d'où? de ta tête ou d'un bouquin d'un auteur génialement doué? remarque, ça revient au même...

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  2. T'as raison, Daltonounette1. Ca revient au même. C'est aaachement bien! Emouvant, fort, tendre... Pfff... Et quand en plus on connaît l'héroïne ...
    T'es trop forte, moi je dis.

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  3. Texte magnifique ! On a envie de la connaître "en vrai" cette héroïne (qui vient sûrement de la "sacrée famille" que vous avez l'air d'être...)

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  4. Alors,Lulu, qu'est fâchée avec typepad qui veut pas l'enregistrer, me dit de te dire:
    "J'ai vu et j'ai lu y'a 2 jours parce que le Blog de ta Louise est dans mes fav' et que je viens y faire mon tour régulièrement.

    "J'ai adoré son texte, mais j'ai pas pu commenter alors que je voulais lui dire toute mon admiration. GRRRRRRRRRRRRRRRRRR, saleté de Typepad qui veut pas de moi.

    Bon tu lui diras de ma part que c'est un bel écrit d'une belle âme.
    Décidément, y'a du talent chez les Despe! "
    et aussi
    "En tout cas très bel hommage transgénérationnel de ta Loulou à ta maman. "

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  5. Test commentaire...pas très intéressant mais vu que ça sera probablement pas bon, c'est pas grave...

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  6. ROOOOOOOOOOOOOOOO PUTAIIIIIIIIIIIN ça marche !!!
    J'ai pas de photo encore, mais ça marche...

    Loulou, alors voilà : BRAVO. Ton texte m'a énormément touchée, et encore plus remuée quand j'ai su que tu parlais de ta grand-mère. Tu écris à merveille.
    Encore !

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