19.5.11

Résister, c'est créer. Créer c'est résister.


"Indignez-vous", qu'il nous disait. Plus loin que le coup médiatique, que le soutien à des candidats multiples et variés, ce soir-là, dans l'amphithéâtre plein à craquer, 1500 paires d'oreilles sont venues l'écouter. Après deux heures de conférence, le vieil homme de 93 ans, toujours alerte mais fatigué, nous avoue déclamer un poème lorsqu'il est heureux. Et là, debout sur l'estrade, il entame une des plus belles récitations de poème entendues jusqu'à présent.


"Me voici devant tous un homme plein de sens
Connaissant la vie et de la mort ce qu'un vivant peut connaître
Ayant éprouvé les douleurs et les joies de l'amour
Ayant su quelquefois imposer ses idées
Connaissant plusieurs langages
Ayant pas mal voyagé
Ayant vu la guerre dans l'Artillerie et l'Infanterie
Blessé à la tête trépané sous le chloroforme
Ayant perdu ses meilleurs amis dans l'effroyable lutte
Je sais d'ancien et de nouveau autant qu'un homme seul
pourrait des deux savoir
Et sans m'inquiéter aujourd'hui de cette guerre
Entre nous et pour nous mes amis
Je juge cette longue querelle de la tradition et de l'invention
De l'Ordre de l'Aventure
Vous dont la bouche est faite à l'image de celle de Dieu
Bouche qui est l'ordre même
Soyez indulgents quand vous nous comparez
A ceux qui furent la perfection de l'ordre
Nous qui quêtons partout l'aventure
Nous ne sommes pas vos ennemis
Nous voulons nous donner de vastes et d'étranges domaines
Où le mystère en fleurs s'offre à qui veut le cueillir
Il y a là des feux nouveaux des couleurs jamais vues
Mille phantasmes impondérables
Auxquels il faut donner de la réalité

Nous voulons explorer la bonté contrée énorme où tout se tait
Il y a aussi le temps qu'on peut chasser ou faire revenir

Pitié pour nous qui combattons toujours aux frontières

De l'illimité et de l'avenir

Pitié pour nos erreurs pitié pour nos péchés

Voici que vient l'été la saison violente

Et ma jeunesse est morte ainsi que le printemps

O Soleil c'est le temps de la raison ardente

Et j'attends

Pour la suivre toujours la forme noble et douce

Qu'elle prend afin que je l'aime seulement

Elle vient et m'attire ainsi qu'un fer l'aimant
Elle a l'aspect charmant
D'une adorable rousse
Ses cheveux sont d'or on dirait

Un bel éclair qui durerait

Ou ces flammes qui se pavanent

Dans les roses-thé qui se fanent

Mais riez de moi

Hommes de partout surtout gens d'ici

Car il y a tant de choses que je n'ose vous dire

Tant de choses que vous ne me laisseriez pas dire

Ayez pitié de moi"

Guillaume Apollinaire

S'inclinant légèrement pour saluer l'auditoire qui bat des mains à tout rompre, le vieil homme se retire, laissant derrière lui le sentiment pour nous de ne rien savoir, et de devoir tout apprendre.

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