9.4.11

Métro ligne 6, direction Simonis


Lundi matin, 9h. Alors que des centaines d'ombres sosies se pressent contre les portes du métro, la 5e de Beethoven tente tant bien que mal d'apaiser les esprits échaudés. Le retour des beaux jours, sous la terre, ne donne pas le sourire. Quelle que soit la saison, toujours la même lumière blafarde, qui vous plonge dans une demi-nuit, un demi-sommeil. Hagards, irrités, aveugles, les sosies se pressent d'entrer dans la rame, de pousser d'autres sosies, un peu plus vieux, un peu plus faibles, pour poser leurs séants sur les sièges de plastique. Une fois assis, ils fixent leur regard éteint sur les centaines de mètres de béton qui entourent le tube métallique. On croirait qu'ils y voient leur avenir tant ils sont absorbés dans la contemplation des tube néon qui défilent là, en haut des murs de béton.

Et puis, au milieu de tout cet ordre, une petite silhouette. frêle, un peu courbée, pas très stable, pas très propre. Deux yeux noirs, brillants, rieurs, moqueurs parfois. Un pull multicolore, de ceux que l'on retrouve dans son grenier. On croirait qu'il sort de l'eau tellement la laine semble lourde, tant elle semble s'étirer jusqu'aux genoux maigrichons. 12 ans au bout d'un bâton, les mains sales, et le regard pénétrant. Entre ses deux bras, un accordéon diatonique, large deux fois comme le torse du petit homme.

D'un bond léger, il se fait une place dans la rame, juste à côté de la grande rampe, en plein milieu. Éclairant son visage d'un sourire un peu grisâtre, il commence à faire courir ses doigts sur les touches. Et là, les notes s'envolent, on les entend plus fort que Beethoven, plus fort que les soupirs, plus fort que le frottement entre elles des sacoches en cuir, plus fort que les petites toux gênées. Les accords s'enchaînent, s'envolent, dépassent le plafond de béton, paraissent à l'air libre et font entrer, le temps d'un morceau, les rayons du soleil dans la rame de la ligne 6, direction Simonis.

Il termine son morceau, un sourire toujours accroché aux lèvres, et, avec la grâce et l'assurance d'un commissaire-priseur, entonne la phrase que son père lui a certainement apprise: "Alli meussieurs-dames, avot bonne coeur! Alli,alli! Merzi meussieurs-dames!"
Ils sont timides, les messieurs-dames. On vient de leur offrir quatre minutes de grâce, et ils fixent la pointe de leur chaussure, prennent un air passablement énervé, sont soudain assaillis de messages sur leur répondeur, ou entreprennent la contemplation d'une mèche de leur cheveux.

Et pourtant, certains, le sourire aux lèvres, tendent une pièce et disent un "merci" plein de soleil. Le visage du gamin s'illumine alors davantage, et il crie un grand et beau "Merzi", et ça ressemblerait presque à une chanson.
Une pièce serrée dans mon poing, j'attend qu'il arrive à ma hauteur. On arrive gare du midi, faut pas le louper. Il s'approche de moi, et je m'empresse de faire tinter très fort la pièce de 2euros au fond de son gobelet en plastique.


(la photo n'est pas de moi, bien sûr... elle vient de )

1 commentaire:

  1. y en a qui ont un budget bagnole, un budget vacances, un budget coiffeur. loulou elle a un budget bon coeur, c'est comme ça, et c'est pour ça qu'on l'aime.

    qu'on se le dise!

    RépondreSupprimer